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Secret bancaire : une stratégie pour la Suisse
Philippe Kenel, avocat à Lausanne, Genève et Bruxelles, Président de la Chambre de Commerce Suisse pour la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg
Le 13 mars 2009, le Conseil fédéral a décidé de passer à l’échange d’informations à la demande avec les Etats avec lesquels la Suisse signera une convention de double imposition allant dans ce sens et de renoncer à la distinction entre la fraude et l’évasion fiscale. Vu les circonstances, il s’agissait d’une bonne décision dans la mesure où elle ne changeait en rien la situation du client prudent. Malheureusement, un très grand chemin a été parcouru dans le mauvais sens depuis cette date sans qu’aucune pression extérieure ne force notre gouvernement à agir de la sorte et, surtout, sans que la Suisse n’obtienne la moindre contrepartie de la part de la communauté internationale, et plus particulièrement de l’UE. En effet, le Conseil fédéral a ni plus, ni moins, déclaré le 25 février 2010 qu’il ne voulait plus que les banques suisses acceptent de l’argent non déclaré à l’avenir et qu’il souhaitait également régulariser le passé, c’est-à-dire la situation de l’argent se trouvant déjà dans les établissements bancaires helvétiques.
La présente proposition de stratégie repose sur les prémisses suivantes :
- La Suisse n’échappera pas, un jour ou l’autre, au passage à l’échange automatique d’informations avec l’UE, ceci, notamment pour une raison très simple : notre pays, et plus particulièrement les grandes banques, auront besoin de la libre circulation des services financiers avec l’UE ce qu’elle n’accordera pas à la Suisse sans que celle-ci accepte l’échange automatique d’informations.
- La très grande majorité des ressortissants européens dont les avoirs sont déposés en Suisse le font pour des raisons fiscales. Préserver le secret bancaire à l’égard de l’UE tout en le vidant de sa substance en cas d’infraction fiscale serait une victoire de pacotille dont les effets économiques seraient quasiment équivalents à ceux engendrés par le passage à l’échange automatique d’informations.
- Dans le cadre des négociations avec l’UE, le temps ne joue pas en faveur de la Suisse. En effet, si le secret bancaire a un contenu juridique et fiscal, il a avant tout une composante psychologique. Or, il ne fait aucun doute que cette dernière est fortement altérée par ce qui se passe depuis plus d’un an. Cette perte de confiance dans le secret bancaire helvétique de la part des clients se matérialise par une vague constante de ressortissants européens qui, soit légalisent leurs avoirs dans leurs Etats de domicile, soit transfèrent leurs comptes dans d’autres Etats qu’ils estiment, à tort ou à raison, plus sûrs, tel Singapour. Ce mouvement a comme conséquence qu’un nombre croissant de clients européens quittent et quitteront les banques helvétiques. Par conséquent, le poids économique du secret bancaire diminuera de plus en plus avec le temps vu qu’il sera utilisé par de moins en moins de ressortissants européens et qu’il servira à abriter de moins en moins de fonds dans nos banques. En résumé, plus le temps passera, moins le secret bancaire aura de valeur dans les négociations avec l’UE et moins la Suisse obtiendra d’avantages de la part de l’UE en l’échange de son abandon.
- La stratégie de notre pays doit tenir compte de trois catégories essentielles d’intérêts : l’intérêt de la Suisse et de tous les secteurs de son économie ; l’intérêt des banques ; l’intérêt des clients, notamment de ceux qui pendant des années ont fait confiance à notre secteur bancaire et ont permis à notre pays d’être un Etat riche. Aussi bien les clients que les banques doivent disposer de temps pour s’adapter et ne doivent pas se voir imposer une solution du jour au lendemain.
En tenant compte des paramètres mentionnés ci-dessus, la feuille de route du Conseil fédéral devrait être la suivante. Tout d’abord, pour être le plus fort possible dans nos négociations internationales, le secret bancaire ne doit pas être affaibli unilatéralement sur le plan interne. En ce sens, les partisans, aussi bien d’une suppression de la distinction entre l’évasion et la fraude fiscale pour les Suisses que de la Weissgeld-Strategie consistant à ce que les banques n’acceptent plus d’argent non déclaré affaiblissent la Suisse sur le plan international. Si notre pays renonce unilatéralement à ses prérogatives qu’aura-t-il encore à négocier pour obtenir des contreparties de ses voisins ? En second lieu, le Conseil fédéral doit adopter une stratégie différente à l’égard de l’OCDE et vis-à-vis de l’UE.