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    Le défi des grands projets immobiliers

    Par

    Philippe Kenel, docteur en droit, avocat à Genève, Lausanne et Bruxelles, Python & Peter

    Afin que la Suisse reste une place concurrentielle en matière touristique, il est impératif qu’elle puisse disposer d’infrastructures correspondant à la demande du marché. Cela signifie notamment qu’il soit possible de construire dans notre pays des logements ou des hôtels, s’intégrant dans le site naturel, correspondant à ceux que l’on trouve à l’étranger. Or, vu le coût de tels projets, ceux-ci sont souvent financés par des investisseurs étrangers. Pour avoir été, à une certaine époque, à la tête de l’un d’entre eux, je me permets d’adresser ci-dessous aux lecteurs un certain nombre de recommandations.

    Cerner et analyser les oppositions

    L’une des caractéristiques communes à tous les grands projets immobiliers financés par des fonds étrangers est qu’ils doivent faire face, dans un premier temps en tout cas, à une réaction de méfiance, voire d’hostilité, de la part de certains milieux locaux. Cette attitude est due notamment à deux raisons. Tout d’abord, certaines associations s’opposent au nom de la protection de la nature par principe à toute construction de ce genre. En second lieu, le fait que les investisseurs soient étrangers peut engendrer une certaine jalousie, soulever certaines questions concernant la provenance des fonds et la solidité du promoteur ou susciter certaines craintes relatives aux touristes qui habiteront les immeubles construits.

    Communiquer, communiquer et communiquer

    Afin de surmonter ces différentes méfiances et hostilités, il est impératif d’adopter une politique de communication adéquate. Les caractéristiques essentielles de cette politique doivent être les suivantes. D’une part, à l’aide d’une agence de communication, elle doit être menée par des personnalités suisses en vue qui, à la tête du projet, doivent créer un climat de confiance avec les différents milieux locaux. Il est particulièrement important d’obtenir rapidement le soutien des autorités locales ainsi qu’une image positive dans la presse. D’autre part, l’investisseur doit donner toutes les informations et toutes les garanties concernant sa solvabilité. Il sied de souligner que l’une des peurs essentielles des autorités est que la construction d’un complexe immobilier commence et ne s’achève pas. En d’autres termes, l’investisseur doit fournir toutes les informations et garanties concernant la faisabilité du projet. Pour ce faire, il ne doit pas hésiter à avoir recours à des associations professionnelles locales, telle la Société Suisse des Hôteliers. Enfin, les administrateurs du projet doivent entrer en négociation avec les associations de protection de la nature même si, il faut le savoir, certaines d’entre elles iront jusqu’au bout, quelles que soit les concessions consenties, pour s’opposer à la réalisation du projet.

    Intégrer le cadre légal

    Comme dans tout pays, la Suisse connaît un droit de la construction, de l’environnement et de l’aménagement du territoire qu’il y a évidemment lieu de respecter. Il se caractérise notamment par le fait qu’une large place est laissée aux associations de protection de la nature pour faire valoir leurs points de vue.

    Cependant, contrairement à de nombreux Etats, la Suisse pose un certain nombre de limitations quant à la possibilité pour des ressortissants étrangers d’acquérir un bien immobilier sur sol helvétique.

    Pour déterminer si un ressortissant étranger peut acquérir un bien immobilier en Suisse, il y a lieu de faire une distinction fondamentale entre le cas où la personne étrangère est domiciliée sur sol helvétique et le cas où elle est domiciliée à l’étranger.

    Lorsqu’un ressortissant étranger est domicilié hors de Suisse, il peut acquérir un immeuble ou un appartement destiné à l’habitation uniquement si les conditions suivantes sont réunies :

    • L’objet immobilier doit se situer dans une zone touristique au sens de la législation cantonale. Par exemple, dans le canton de Vaud, contrairement à Lausanne, Montreux, Villars et Vevey appartiennent à la zone touristique. En revanche, le canton de Genève, ne connaît aucune zone touristique.
    • La surface habitable ne doit pas être supérieure à 200 m2 et la surface de la parcelle ne doit pas excéder 1'000 m2.
    • Une unité du contingent cantonal doit être disponible.

    Par ailleurs, aussi bien dans le canton de Vaud que dans le canton du Valais, une personne étrangère ayant acquis un bien dans une zone touristique en application des règles mentionnées ci-dessus n’a pas le droit de le louer à l’année et ne peut pas le revendre dans les cinq ans suivants la date de son acquisition. De plus, seule une personne physique, par opposition à une société, peut acheter dans une zone touristique.

  • Le droit suisse connaît des règles particulières concernant les appartements se trouvant dans des « apparthôtels » et les cas où le ressortissant étranger peut prouver qu’il entretient des relations extrêmement étroites et dignes d’être protégées avec le lieu où il souhaite acquérir une résidence secondaire.

    Il sied de préciser qu’un ressortissant étranger domicilié hors de Suisse peut acquérir librement des locaux commerciaux, des hôtels ou des sociétés ayant un établissement stable en Suisse.

    Alors que les règles mentionnées ci-dessus sont identiques pour tous les ressortissants étrangers, une distinction doit être faite entre les ressortissants européens (Union Européenne et Espace Economique Européen) et les personnes provenant d’Etats tiers pour déterminer les principes applicables aux ressortissants étrangers domiciliés en Suisse qui souhaitent acquérir un bien immobilier.

    La situation est simple pour les ressortissants européens dans la mesure où dès le moment où ils sont domiciliés en Suisse au bénéfice d’une autorisation de séjour (permis B) ils peuvent acquérir un ou des biens immobiliers sans aucune restriction.

    En revanche, l’acquisition d’un bien immobilier par un ressortissant étranger originaire d’un Etat tiers est soumise au respect des conditions suivantes :

    • La personne étrangère peut acquérir uniquement sa résidence principale.
    • La surface de la parcelle ne doit pas être supérieure à 3'000 m2. Certaines dérogations peuvent être accordées par les autorités.

    Ces restrictions cessent dès le moment où l’intéressé est titulaire d’une autorisation d’établissement (permis C) délivrée en principe après 10 ans de résidence en Suisse au bénéfice d’un permis B.

    Il ne suffit pas de constituer une société suisse pour contourner les principes mentionnés ci-dessus. En effet, une personne morale de droit suisse au sein de laquelle des personnes domiciliées à l’étranger ont une position dominante est considérée elle-même comme une personne domiciliée à l’étranger.

    A la lumière des principes énoncés ci-dessus, l’investisseur étranger se doit de résoudre les questions suivantes : a-t-il le droit d’acquérir les terrains concernés en Suisse et d’y construire des logements ? Si tel est le cas, peut-il le revendre à des ressortissants étrangers domiciliés ou non en Suisse ? Peut-il vendre des appartements ou doit-il construire un hôtel dont il pourra revendre des parts de copropriété ? Les réponses à ces différentes questions n’ayant pas été les mêmes pour tous les projets immobiliers ayant été lancés en Suisse, il n’est pas possible d’y répondre dans le cadre de cette contribution. Cependant, nous attirons l’attention du lecteur sur le fait qu’il est impératif d’étudier précisément ces questions dont les réponses pourront avoir une influence déterminante sur la faisabilité économique du projet.

    Conclusion

    Pour conclure, la Suisse a besoin de renouveler son infrastructure touristique et doit être ouverte aux investisseurs étrangers. Cependant, j’attire leur attention sur la nécessité d’informer, de communiquer, de créer un climat de confiance et d’étudier, de manière détaillée, les possibilités offertes par la législation suisse limitant la possibilité pour des ressortissants domiciliés à l’étranger d’acquérir des biens immobiliers.